#M007 Blog de Noël, hésitation vaccinale et risque d’accident de la route

Redelmeier DA, Wang J, Thiruchelvam D. COVID Vaccine Hesitancy and Risk of a Traffic Crash. Am J Med. 2022 Dec 2:S0002-9343(22)00822-1. doi: https://doi.org/10.1016/j.amjmed.2022.11.002 . Epub ahead of print. PMID: 36470796; PMCID: PMC9716428

Pourquoi a-t-on choisi cet article ?

L’hésitation vaccinale désigne le retard à l’acceptation ou le refus des vaccinations malgré l’existence d’un dispositif d’offre vaccinale. De nombreuses études se sont attachées à décrire les déterminants de ce phénomène et ses conséquences individuelles et sociétales, notamment pendant la pandémie de COVID-19. L’article que nous avons choisi est le premier à s’intéresser à l’association entre hésitation vaccinale et risque d’accident de la route. Au vu de l’importance de la prévalence de l’hésitation vaccinale dans la population, une association, si elle était causale, impliquerait un impact important en termes de nombre d’accidents et donc d’impact de santé publique.

Ce qu’en pense la SFPT : principaux messages de l’article

Une étude de pharmaco-épidémiologie sur plus de 10 millions d’adultes qui démontre sans ambiguïté l’existence d’un risque augmenté d’accident de la route chez les personnes manifestant une hésitation vaccinale.
Le risque d’accident de la route apparaît quasiment doublé chez les hésitants à la vaccination. L’augmentation est indépendante du type de vaccin et paraît dose dépendante (plus l’hésitation est forte plus l’augmentation du risque d’accident est marquée). Les résultats sont robustes dans les différentes analyses de sensibilités et de sous-groupe. Ce risque est de taille comparable à celle de l’apnée du sommeil…avec une différence notable. Nous le rappelons, « Correlation is not causation » ; rediscuter cet aspect est tout l’objectif de la discussion de cet article par ailleurs excellent.
L’étude conclut en fait à l’existence d’un risque augmenté d’accident de la route chez les sujets les moins vaccinés. Le nombre d’injections vaccinales est utilisé comme un indicateur de l’hésitation ; l’association à l’hésitation est donc indirecte, c’est une faiblesse. L’association mise en évidence est cependant indéniable et obtenue avec des méthodes robustes et tout à fait adaptées. Elle peut conduire à faire l’hypothèse de comportements généralement plus à risque (et peut être moins respectueux des recommandations en général) chez les personnes hésitantes à la vaccination.

attention Si cette étude démontre sans ambiguïté l’existence d’un risque augmenté d’accident de la route chez les personnes manifestant une hésitation vaccinale, elle ne permet en revanche absolument pas de conclure que l’hésitation vaccinale est responsable d’un risque augmenté d’accidents. Tout au plus en serait-elle le marqueur, ce qui serait déjà une information sérieuse. Il importerait alors aux passagers d’un véhicule ou aux assurances automobiles de s’enquérir du statut vaccinal du conducteur.

doigt En attendant des études complémentaires sur ce sujet intéressant, pour vous assurer les meilleures fêtes possibles, vaccinez-vous pour vous protéger de la COVID ou de la grippe (les associations à un moindre risque d’infection sont causales !) et conduisez prudemment (l’association à un moindre risque d’accident est également causale !).

Pour approfondir :

Les auteurs ont utilisé la base de données d’assurance maladie de l’Ontario, province la plus peuplée du Canada avec près de 15 millions de résidents en 2021. Cette base a été fusionnée via des identifiants individuels à une autre base de données contenant des informations sur les vaccinations contre le COVID-19 (COVaxON database[1]).  Les accidents de la route ont été identifiés via les codes diagnostiques des hospitalisations en urgences au sein des établissements de la région.

Au total, plus de 11 millions d’individus ont été inclus, 9,5 millions de vaccinés et 1,8 million de non vaccinés (Figure 1).

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Figure 1. Flow chart

La méthode utilisée dans cet article a fait l’objet d’une réflexion poussée. En particulier, l’identification des potentiels facteurs de confusion a fait l’objet d’une démarche extrêmement structurée et conforme aux meilleures pratiques au regard de l’état de l’art (Figure 2).

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 Figure 2. Graphe dirigé acyclique pour l’identification des facteurs de confusion potentiels pour l’étude de l’association entre l’hésitation vaccinale et les accidents de la route. 

Le constat de l’immesurabilité de la majorité d’entre eux dans les bases de données médico-administratives a cependant conduit à ne pas les prendre en compte. Les auteurs ont donc utilisé une régression logistique non ajustée dans l’analyse principale et ont recouru à l’utilisation d’événements contrôles positifs et négatifs, ainsi qu’à de nombreuses analyses de sensibilité et de sous-groupe pour étudier la robustesse de leurs résultats. L’événement contrôle positif était la pneumopathie à COVID-19 (le caractère positif du contrôle implique que l’on doit retrouver pour lui une association, ici attendue en faveur d’un effet bénéfique du vaccin/de l’absence d’hésitation vaccinale) et la constipation (le caractère négatif du contrôle implique que l’on ne doit pas retrouver pour lui une association). De plus de nombreuses analyses secondaires, en faisant varier la méthode d’analyse, et analyse de sensibilité ont été réalisées pour apprécier la robustesse des résultats.

Au total, 6682 individus ont été hospitalisé pour un accident de la route grave pendant la période de suivi dont 25% n’étaient pas vaccinés. Les résultats montrent une augmentation substantielle de l'incidence des accidents de la route graves chez les personnes non vaccinées par rapport à celles qui sont vaccinées (Figure 3).

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Figure 3. Diagramme d'incidence cumulée du risque absolu d'un grave accident de la circulation. L'axe des X indique les jours suivant le début du suivi. L'axe des ordonnées montre l'incidence cumulative des événements par million d'individus. La ligne bleue indique les personnes vaccinées contre le coronavirus (COVID) et la ligne rouge indique les personnes non vaccinées contre le COVID. Les nombres entre crochets indiquent le total cumulé des patients de chaque groupe présentant un événement au moment correspondant.

Les résultats des nombreuses analyses secondaires, stratifiés sur l’âge, le sexe, le lieu de résidence, le statut socio-économique, les antécédents médicaux et l’accès aux soins sont concordants. Cette augmentation du risque est plus importante en ne sélectionnant que les individus vaccinés par au moins 2 doses plutôt qu’une dose et similaire pour les vaccins Pfizer, Moderna et autres vaccins anti-COVID. Les résultats pour évènements contrôles positifs (pneumopathies à COVID-19) et négatifs (constipation) sont conformes à l’attendu. L’analyse de sensibilité réalisée avec assortiment sur score de propension prenant en compte les variables sociodémographiques et les maladies des sujets retrouvait l’association mise en évidence dans l’analyse principale, avec une force d’association moindre cependant (OR=1,38 ; IC95 % : 1,28-1,44).

L’étude présente des forces importantes et des limites à prendre en compte. Au rang des forces, l’utilisation de bases de données exhaustives en termes d’événements de santé et très adaptées à l’identification des maladies existantes (en particulier pour les analyses de sensibilité). Au rang des faiblesses, une mesure indirecte de l’hésitation vaccinale, uniquement évaluée au regard du nombre d’injections vaccinales reçues. La connaissance de celles-ci est en revanche quasiment exhaustive pour les habitants de l’Ontario, seule l’information des vaccinations reçues en dehors de la région pouvant ne pas être renseignée. Il n’en demeure pas moins que l’étude ne mesure qu’indirectement l’association entre hésitation vaccinale et risque d’accident de la route.

Enfin, et c’était tout l’objectif de la présentation de cette très bonne étude, elle permet de discuter une fois de plus que corrélation n’est pas synonyme de relation causale, ou dit autrement qu’association statistique n’est pas synonyme d’association causale.

L’étude conclut ici à l’existence d’un risque augmenté d’accident de la route chez les sujets les moins vaccinés. Cette association est indéniable et obtenue avec des méthodes robustes et tout à fait adaptées. Cela doit conduire à faire l’hypothèse de comportements généralement plus à risque (et peut être moins respectueux des recommandations en général) chez les personnes hésitantes à la vaccination. Cela ne doit en revanche absolument conduire à conclure que l’hésitation vaccinale est responsable d’un risque augmenté d’accidents. Tout au plus en serait-elle le marqueur ce qui serait déjà une information importante. Il importerait alors aux passagers d’un véhicule ou aux assurances automobiles de s’enquérir du statut vaccinal du conducteur. En attendant des études complémentaires sur ce sujet intéressant, pour vous assurer les meilleures fêtes possibles, vaccinez-vous pour vous protéger de la COVID ou de la grippe (les associations à un moindre risque d’infection sont causales !) et conduisez prudemment (l’association à un moindre risque d’accident est également causale !).

Très bonne fin d’année à tous

Le GT Pharmacoépi de la SFPT

Reference

1.  https://www.phsd.ca/health-topics-programs/vaccines-immunizations/coronavirus-covid-19-vaccine/reporting-your-covid-19-vaccinations-in-the-provincial-database-covaxon/