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#M003 Détection d'interaction médicamenteuse entre trois médicaments : étude concernant les myorelaxants et le risque de traumatisme

De quoi parle-t-on ?

Chen C, Hennessy S, Brensinger CM, Dawwas GK, Acton EK, Bilker WB, Chung SP, Dublin S, Horn JR, Miano TA, Pham Nguyen TP, Soprano SE, Leonard CE. Skeletal muscle relaxant drug-drug-drug interactions and unintentional traumatic injury: Screening to detect three-way drug interaction signals. Br J Clin Pharmacol. 2022 May 13. doi: https://doi.org/10.1111/bcp.15395 . Epub ahead of print. PMID: 35562168.

Pourquoi a-t-on choisi cet article ?

Les interactions médicamenteuses sont classiquement étudiées en évaluant les modifications de l’effet d’un principe actif induites par la prise d’un autre principe actif. Les études publiées évaluant les risques que font courir les interactions médicamenteuses portent ainsi presqu’exclusivement sur des paires de principe actifs (interactions médicament-médicament ou Drug-Drug Interactions, DDIs).
Pourtant, parmi les effets indésirables graves consécutifs à des interactions médicamenteuses déclarés en France, plus du tiers impliquaient au moins trois médicaments connus pour interagir . Le développement de méthodes pharmaco-épidémiologiques permettant la détection de ces interactions plus complexes et l’évaluation des risques qu’elles font courir est donc nécessaire.

Ce qu’en pense la SFPT 

Une très belle étude, mais nécessitant encore des développements.
Il s’agit d’une étude exposant les résultats obtenus à l’aide d’une méthode proposée pour la détection de signaux de sécurité concernant les interactions entre trois médicaments, en situation réelle de soins.
La méthode, très intéressante, évalue l’augmentation du risque associée à l’ajout d’un troisième médicament chez des patients déjà traités par une paire myorelaxant-deuxième médicament. Le schéma d’étude utilisé pour cela est très robuste aux biais, et les précautions méthodologiques et statistiques retenues renforcent la solidité des résultats. Vingt-neuf signaux d’interactions potentielles à trois médicaments sont ainsi détectés.
Mais Il y a un MAIS.
L’augmentation du risque étudiée correspond à celle estimée après ajout du troisième médicament. Peut-être n’est-elle le fait que du risque lié à celui-ci ou du risque lié à l’interaction de celui-ci avec l’un des deux médicaments de la paire mais pas obligatoirement les deux. Bref, s’il y a augmentation de risque (potentiellement causale, cf. pour en savoir plus), il n’est pas certain qu’il y ait toujours un signal crédible d’interaction entre trois médicaments dont un myorelaxant. Cet aspect est abordé dans la discussion avec des perspectives en termes d’approche. Connaissant la grande qualité de l’équipe, nul doute que celle présentée, encore imparfaite, trouvera bientôt de nouveaux développements très intéressants.

Pour approfondir 

La méthode utilisée dans cette étude a un très grand mérite : s’attaquer à une problématique très complexe en utilisant une approche suffisamment économe pour permettre de gérer le très grands nombre d’opération de gestion de données puis de calcul nécessaire.

Méthodes
1. Source de données

La base de données utilisées ici est la base OPTUM sur la période 2000-2019 ; elle couvre 71 millions d’individus.
Au contraire de la France avec le SNDS, les USA n’ont pas la chance de disposer d’une base de données d’assurance maladie couvrant de manière durable une grande partie de la population (l’assurance et le choix de celle-ci est le fait de l’employeur). La base données OPTUM souffre de cette faiblesse comparativement au SNDS ; celle-ci est cependant d’importance limitée pour l’étude de risques à court-terme, comme le risque d’accidents / de traumatismes lié à des interactions médicamenteuses. Par ailleurs la base OPTUM présente à l’inverse des informations intéressantes qui ne sont pas disponibles dans le SNDS, en particulier des informations sur la durée de traitement associée à chaque délivrance de médicament en pharmacie. Cette base a été utilisée pour de très nombreuses publications (> 700).

2. Schéma d’étude

Pour prendre en compte le risque individuel de l’événement, dans un contexte d’étude d’événement de survenue aiguë et d’exposition intermittente, le schéma d’étude choisi est celui d’une série de cas propre-témoins (self-controlled case-series ; SCCS)[1] . Cette méthode a été initialement développée pour étudier le risque d’effet indésirable à court-terme des vaccins [1] . Elle permet, par principe, l’élimination de la confusion liée à des caractéristiques constantes au cours du temps [2] .
Le plus important dans cette méthode est de pouvoir précisément dater les périodes d’exposition (d’où l’intérêt de disposer de l’information de durée de traitement) et des dates d’événements. Pour un sujet donné, on doit en effet déterminer des périodes dites « à risque lié à l’exposition » et des périodes qui ne le sont pas (« périodes de référence ») et servent à l’estimation du risque de base chez l’individu. Le risque lié à l’exposition est ensuite estimé en comparant fréquence de survenue de l’événement au cours des périodes à risque et fréquence de survenue de l’événement au cours des périodes de référence, le sujet constituant son propre contrôle. Ce schéma a déjà été largement utilisé dans l’étude des risques liés aux interactions médicamenteuses [3] .
Le SCCS repose uniquement sur un échantillon de patients ayant présenté l’événement à un moment dans le temps de leur suivi dans l’étude et ayant également été exposé au moins une fois à une situation d’interaction au cours de ce suivi. Parmi l’ensemble des patients inclus dans la base OPTUM, les auteurs ont donc identifié dans un premier temps les sujets ayant débuté l’utilisation d’un myorelaxant (baclofène, carisoprodol, chlorzoxazone, cyclobenzaprine, dantrolène, métaxalone, méthocarbamol, orphénadrine, tizanidine ; tous ne sont pas ou plus commercialisés en France), puis au sein de ceux-ci, les individus ayant utilisé un deuxième médicament durant un épisode continu de traitement par myorelaxant. N’ont été retenus parmi ceux-ci que les patients ayant également présenté, au cours d’une période d’exposition à cette paire myorelaxant-deuxième médicament, un traumatisme involontaire. Pour ces patients, le temps d’observation a ensuite été découpé en temps d’exposition à la paire myorelaxant-deuxième médicament et temps d’exposition myorelaxant-deuxième médicament + troisième médicament (qualifié de « précipitant ») (cf design de l’étude ci-dessous).
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Figure. Design de l’étude. Extrait de Chen et al. BJCP 2022

L’événement a été identifié à l’aide de codes précis (cf. texte de l’article) et dont la performance est précisée dans les annexes (cf. supplemental materials).
La définition des périodes a inclus des dispositifs permettant de limiter l’influence d’éventuels biais de causalité inverse (ou l’événement est responsable de la prescription) et le biais de mesure pour l’exposition (extension de 20% de la durée des périodes de traitement pour tenir compte des défauts éventuels d’observance ; s’ils sont biaisés, les résultats obtenus sont de cette manière conservateurs en termes d’augmentation de risque). Enfin, les analyses ont été ajustées sur des caractéristiques pouvant varier au cours de temps : la dose quotidienne moyenne (supérieure ou inférieure à la médiane), le mois de suivi (1er ou suivant) et l’existence d’antécédent de traumatisme d’intérêt.
Enfin pour réduire les risques engendrés par la réalisation d’analyses multiples, les rapports de risque obtenus ont été ajustés ou corrigés par réduction semi-Bayésienne (qui corrige les valeurs extrême des estimés pour les rapprocher des valeurs moyennes afin de limiter le nombre de potentiels faux-positifs)

Résultats et interprétation/discussion

Les tailles des échantillons étudiés varient de 42 sujets (pour le dantrolène ; 46 événements, effectif trop faible pour être étudié) à près de 36 000 pour la cyclobenzaprine (près de 39 000 événements). Les populations étudiées présentaient des caractéristiques très différentes en fonction du myorelaxant utilisés (médiane d’âge de plus de 60 ans pour les utilisateurs de baclofène et de tizanidine (population également plus féminines) contre environ 50 ans pour les autres myorelaxants hors dantrolène). L’origine ethnique et la région montraient aussi des différences.
Aucun signal d’augmentation du risque de traumatisme involontaire associé à des interactions à 3 médicaments n’était détecté pour le carisoprolol (sur 3609 triades examinées), la chlorzoxazone (21 triades), la métaxalone (975 triades) et l’orphénadrine (17 triades). Un était détecté pour le méthocarbamol (3223 triades), cinq pour le baclofène (9363 triades), neuf pour la cyclobenzaprine (16610 triades) et 14 pour la tizanidine (12 330 triades).
La plupart des triades impliquaient, en plus du myorelaxant, un autre médicament du système nerveux central ou antalgique pouvant être responsable de somnolence ou de vertiges (opioïdes, gabapentinoïdes, antidépresseurs).
Le principe de la démonstration est de voir si l’ajout d’un troisième médicament est associé à une augmentation du risque de traumatisme involontaire chez les patients déjà traités par un myorelaxant et un deuxième médicament.
Sur les 29 signaux détectés au total pour 29 troisième médicaments rajoutés sur 29 paires myorelaxants-deuxième médicament pré-existantes on peut faire plusieurs constats :

  1. Presqu’aucune augmentation de risque ne semble le fait d’interactions pharmacocinétiques significatives déjà identifiées
  2. Parmi les 3e médicament rajoutés, certains portent un risque bien connu de confusion, somnolence, troubles de l’équilibre voire mouvements anormaux. C’est en particulier le cas des gabapentinoïdes qui apparaissent comme 3e médicament source de signal pour nombre de paires myorelaxant-deuxième médicament pré-existante (6/29). C’est encore le cas des antidépresseurs ou des benzodiazépines (5/29) et d’autres médicaments à propriétés anticholinergiques (dicyclomine) ; le furosémide apparaissait également dans deux signaux. Il est compliqué de considérer ici des signaux d’interactions sachant que la valeur de l’augmentation du risque de traumatisme associé à ces médicaments lorsqu’ils sont utilisés seuls n’a pas été étudié. Il est possible que le signal retrouvé ici soit uniquement le marqueur du risque lié à ces produits, indépendamment de l’association à la paire sous-jacente.Par exemple, pour reprendre un exemple cité dans la discussion, « l’utilisation de clonazépam a été associée à un taux 1,7 fois plus élevé de traumatismes involontaires chez les patients recevant de la tizanidine + oxycodone ». Est-ce le fait d’une interaction spécifique, ici pharmacodynamique et potentiellement pharmacocinétique (très théorique) via le CYP3A4 ? Ou est-ce lié à l’augmentation du risque de traumatisme qui serait constatée habituellement chez un patient placé sous clonazépam ? Et si c’était le fait d’une interaction, est-ce le fait spécifique de l’association des trois médicaments ou l’ajout du clonazépam chez un patient sous oxycodone mais non traité par tizanidine entraînerait-elle la même augmentation du risque ? L’approche, bien que très intéressante, semble ici incomplète.
  3. Néanmoins et dit autrement :
    sur 29 signaux, 13 apparaissaient le fait d’un troisième médicament jusqu’ici non connu pour être indépendamment associé à une augmentation du risque de traumatisme (donc non suspect d’interactions pharmacodynamiques pour ce risque) et non connu pour interagir pharmacocinétiquement avec les médicaments de la paires pré-existantes. Ce nombre peut-être réduit à 12 si l’on élimine également les deux signaux impliquant la lévofloxacine dans une paire associant la tizanidine (ces deux médicaments sont à risque de trouble du rythme ventriculaire pouvant être responsable de syncope et de traumatisme secondaire) et l’hydrochlorothiazide (qui peut lui-même induire des hypokaliémies ce qui n’arrange pas les affaires rythmiques de cette triade).
    Ces 12 rescapés sont les signaux qui sont à la fois les plus susceptibles d’être des faux-positifs (au regard des connaissances existantes et de l’approche employée)… et les plus susceptibles d’être de vrais nouveaux signaux potentiels, puisque rien jusqu’ici n’associait solidement les médicament impliqués à un risque de traumatisme. Il y a ici des pistes intéressantes à creuser, avec une approche qui devra être plus complète.
Conclusions

Une très belle étude, mais nécessitant encore des développements.
Un grand mérite : s’attaquer à une problématique très complexe en utilisant une approche suffisamment économe pour permettre de gérer le très grands nombre d’opération de gestion de données puis de calcul nécessaire ; le travail qui a été accompli de ce côté-là est considérable.
Beaucoup d’autres mérites : une approche méthodologique et statistique solide, la présentation des codes d’identification des événements et de leurs performances quand elles sont disponibles, une correction visant à limiter le risque lié aux analyses multiples.
Une faiblesse : dans l’étude de la question et, probablement, d’une solution réaliste en termes de ressources informatiques, un pan de la recherche d’interaction n’a pas été couvert : vérifier que la modification du risque observée chez le patient n’est pas le simple fait du médicament ajouté indépendamment des autres déjà présents. Cet aspect est abordé dans la discussion avec des perspectives en termes d’approche. Connaissant la grande qualité de l’équipe, nul doute que celle présentée, encore imparfaite, trouvera bientôt de nouveaux développements très intéressants.

Références
  1. Pariente A. Évaluation pharmaco-épidémiologique de la sécurité des vaccins : aspects méthodologiques. La Lettre du Pharmacologue. 2015 ; 29 : 94-7. Lien d’accès
  2. Sommet A, Pariente A. Methods in pharmacoepidemiology. Therapie. 2019 Apr;74(2):187-197. Lien d’accès
  3. Bykov K, Li H, Kim S, Vine SM, Lo Re V 3rd, Gagne JJ. Drug-Drug Interaction Surveillance Study: Comparing Self-Controlled Designs in Five Empirical Examples in Real-World Data. Clin Pharmacol Ther. 2021 May;109:1353-60. https://doi.org/10.1002/cpt.2119

pharmacoépidémiologie

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