#F017 Généralisation nécessaire de l’accès à la naloxone
De quoi parle-t-on ?
De l’augmentation des décès par surdoses d’opioïdes, qui pourrait être mieux prévenue par un accès généralisé à la naloxone.
Pourquoi a-t-on choisi d’en parler ?
L’enquête nationale DRAMES (Décès en Relation avec l'Abus de Médicaments Et de Substances) a enregistré 4460 décès sur la période 2011-2021, avec un âge moyen de 38 ans, surtout chez les hommes (sex-ratio, 4,4:1) [1].
Parmi les produits impliqués, des variations statistiquement significatives ont été observées entre 2011 et 2021 pour la buprénorphine, la cocaïne, l'héroïne, la méthadone et les autres opioïdes licites. La méthadone, un médicament de substitution aux opioïdes (agoniste opioïde complet), reste la première cause de décès sur l'ensemble de la période d'étude, devant l'héroïne (44,7 % et 35,9 % pour la méthadone contre 15,8 % et 21,8 % pour l'héroïne en 2011 et 2021, respectivement).
La part des décès liés à des polyintoxications est passée de 23,2 % en 2011 à 30,6 % en 2021. Dans ce contexte aussi, les opioïdes sont les principaux pourvoyeurs de décès, avec au moins l’un d’entre eux impliqué dans près de 9 cas sur 10 (85,9 %) en 2021. La principale tendance observée a été l'augmentation spectaculaire des associations létales impliquant la cocaïne, qui progresse de près d’un tiers des cas en 2011 (30,8 %) à plus de la moitié en 2021 (57,8 %).
La naloxone est l’antidote des opioïdes. Elle est disponible en pharmacie, sans prescription médicale, et gratuitement à l’hôpital ou dans les structures d’addictologie, avec de formes prêtes à l’emploi permettant à tout témoin d’intervenir en cas de surdose, avant l’arrivée des secours. L’administration précoce de naloxone pourrait ainsi éviter 4 décès sur 5 dans ce contexte [2].
L’avis de la SFPT
Les opioïdes, médicamenteux ou non, constituent la première cause de décès par overdose en France. Parmi les opioïdes, la méthadone est la principale cause de décès devant l'héroïne. Cela ne remet pas en cause l’intérêt des médicaments de substitution (comme la méthadone et la buprénorphine), qui, quand ils sont bien utilisés, réduisent nettement la mortalité par overdose. Il faut cependant renforcer les mesures de prévention, comme la diffusion de la naloxone, un antidote efficace contre les opioïdes.
Pour approfondir
L’enquête DRAMES repose sur la collecte, la documentation et l’expertise des cas de décès pour lesquels des experts toxicologues ont effectué des analyses, à la demande de la Justice. Les données recueillies incluent les caractéristiques démographiques des individus, leurs antécédents médicaux ou d'abus de substances, les résultats d'autopsie et les rapports toxicologiques.
Depuis sa création, les résultats annuels de l’enquête DRAMES sont publiés par l’ANSM (https://ansm.sante.fr/page/resultats-denquetes-pharmacodependance-addictovigilance). Le dispositif figure ainsi parmi les outils mis en œuvre par le Réseau Français des Centres d’Addictovigilance (https://addictovigilance.fr), ici dans le cadre d’une collaboration avec la Compagnie Nationale des Biologistes et Analystes Experts (CNBAE).
En France, comme ailleurs en Europe, la mortalité associée à l'abus de substances psychoactives est plus élevée chez les hommes âgés de 35 à 39 ans [3].
Dans le cadre de l’enquête DRAMES, une augmentation de la polyconsommation, entraînant des surdoses mortelles, a été mise en évidence sur la période 2011-2021. Dans le monde, la polyconsommation est relativement peu fréquente en population générale, variant de 0,3 % au Portugal à 3,4 % en Uruguay [4]. Cependant, la polyconsommation est beaucoup plus fréquente chez les personnes ayant des pratiques à risque [5]. Par exemple, sur 1311 seringues usagées collectées dans 8 villes européennes en 2019, 32 % contenaient plusieurs drogues [6].
Comme dans la plupart des pays, les opioïdes constituent de loin la classe de produits la plus fréquemment associée aux overdoses mortelles en France. En 2020, les opioïdes étaient présents dans les trois quarts (74 %) des surdoses mortelles signalées dans l’UE [7].
La situation française semble néanmoins différente, car la méthadone (agoniste opioïde complet) demeure la principale cause de décès devant l'héroïne sur l’ensemble de la période. Le Réseau Français des Centres d’Addictovigilance souligne depuis de nombreuses années que la méthadone est un médicament utile, mais que son maniement reste complexe, nécessitant la vigilance de tous [8].
Une augmentation des décès liés à la méthadone a également été observée en 2020, au cours de la pandémie COVID-19 [9]. En France, comme dans plusieurs pays, les confinements ont conduit à modifier le fonctionnement des structures d’accueil et les habitudes des usagers. Des mesures dérogatoires ont été mises en place pour assurer la continuité des traitements, permettant aux patients d'emporter temporairement jusqu'à 28 jours de méthadone à domicile, ce qui pourrait expliquer l'augmentation relative des décès liés à ce médicament de substitution. Une autre explication pourrait être la moindre disponibilité des drogues illicites en période de confinement. Des pénuries d'héroïne ont en effet été signalées dans certains pays de l'UE aux premiers stades de la pandémie et pourraient avoir contribué à une augmentation de l'utilisation des traitements de substitution [10]. Ainsi, une augmentation des décès liés à la buprénorphine au moment des confinements a été signalée en Finlande [11], ainsi qu’une augmentation du mésusage de la buprénorphine et de la méthadone en France au cours de cette période [12].
En comparaison, l’enquête DRAMES confirme la sécurité relative de la buprénorphine (agoniste opioïde partiel) en termes de décès par overdose, déjà mise en évidence en France [13] ou en Angleterre et au Pays de Galles [14].
Les analgésiques opioïdes semi-synthétiques ou synthétiques jouent un rôle central dans l’épidémie d'overdoses qui frappe actuellement les États-Unis. En revanche, aucune augmentation significative des décès liés au fentanyl ou à l'oxycodone n'a été observée en France entre 2011 et 2021. Ni l'utilisation hors AMM fréquente de fentanyl [15], ni la forte augmentation du nombre de personnes adoptant un comportement de "doctor shopping" pour l'oxycodone (un indicateur de mésusage ou d'abus potentiel) [16] ne se sont traduits d’après les données du Réseau Français d’Addictovigilance par une augmentation significative des décès avec ces médicaments, même si la vigilance reste de mise. Les données de l’enquête DRAMES suggèrent par contre une augmentation des décès liés au tramadol, médicament consommé par plus de 5 millions de français et pour lequel on note une augmentation de son mésusage depuis plusieurs années [17].
En France, les stimulants comme la cocaïne, les amphétaminiques, les cathinones et certains autres Nouveaux Produits de Synthèse (NPS), constituent la deuxième cause de décès liés à l’abus de substances psychoactives. Selon les résultats de l’enquête DRAMES, la cocaïne est maintenant impliquée dans plus de la moitié des décès liés à la polyconsommation.
Les amphétaminiques se classent en deuxième position. Parmi les 20 pays d’Europe, pour lesquels des données sont disponibles en 2020, l'Autriche, la Tchécoslovaquie, l'Estonie, la Finlande, la Norvège et la Slovaquie ont signalé une augmentation du nombre de décès impliquant des amphétamines par rapport à l'année précédente [7].
Par ailleurs, l'analyse de seringues usagées collectées à Paris en 2018 a montré que 51 % d'entre elles contenaient des cathinones, une proportion qui est passée à 67 % en 2019 [6]. Bien que ces résultats ne se traduisent pas par une augmentation significative des décès liés aux NPS, une surveillance attentive est nécessaire. En effet aux Pays-Bas, le nombre d'overdoses ayant impliqué la 3-méthylméthcathinone (3-MMC) est passé de 10 en 2018 à 64 en 2020 [7].
Enfin, le cannabis reste de loin la drogue illicite la plus consommée en France et dans le monde. Il convient de noter que le cannabis est fréquemment impliqué dans les accidents mortels de la circulation, mais ces accidents sont exclus du registre DRAMES. En France, depuis 2006, des complications cardiovasculaires et des décès liés au cannabis ont été signalés chez des consommateurs jeunes et apparemment en bonne santé [18,19]. Les résultats de l’enquête DRAMES soulignent le fait que le cannabis constitue une cause sous-estimée de décès.
Références
- Revol B, Willeman T, Manceau M, Dumestre-Toulet V, Gaulier JM, Fouilhé Sam-Laï N, Eysseric-Guérin H; Compagnie Nationale des Biologistes et Analystes Experts (CNBAE) and the French Addictovigilance Network (FAN). Trends in Fatal Poisoning Among Drug Users in France From 2011 to 2021: An Analysis of the DRAMES Register. JAMA Netw Open. 2023 Aug 1;6(8):e2331398. doi: 10.1001/jamanetworkopen.2023.31398.
- Surdoses (overdoses) d’opioïdes : la naloxone est utilisable par tous et peut sauver la vie. Ministère de la Santé et de la Prévention. Accessed November 3, 2023. https://sante.gouv.fr/prevention-en-sante/addictions/article/surdoses-overdose-d-opioides-la-naloxone-est-utilisable-par-tous-et-peut-sauver
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